Hypnose : Comment ça marche ?
En vogue au XIXe siècle, l’hypnose revient dans les hôpitaux pour lutter contre la douleur. Que provoque cet état de « transe » dans le cerveau ?
Par Claude Touzet*
L’état d’hypnose est induit plus ou moins rapidement en fonction du contexte et du sujet. Cela peut prendre quelques secondes (par la méthode dite de « rupture de pattern »), quelques dizaines de secondes (lorsque l’on recourt à la confusion mentale), voire quelques minutes (en cas de suggestion). En pratique, nous sommes tous hypnotisables, et il est possible de nous faire faire absolument n’importe quoi. Bien évidemment, il y a des différences d’une personne à l’autre qui obligent l’hypnotiseur à adapter sa technique, mais ce n’est qu’une question de temps et de compétences. Les démonstrations réalisées sur ce thème par Derren Brown, célèbre hypnotiseur et homme de spectacle anglais, sont édifiantes et sans appel. Les seuls sujets non hypnotisables sont les jeunes enfants et les patients souffrant d’une maladie mentale impactant leur capacité d’inhibition (démence fronto-temporale, Alzheimer).
L’inhibition, c’est la capacité d’empêcher, de réprimer ou de suspendre une réponse « automatique ». Le test le plus classique pour évaluer cette fonction est vraisemblablement le « stroop ». Il s’agit de lire une série de noms (de couleur) sans tenir compte de la couleur de l’encre, ou à l’inverse d’énoncer la couleur de l’encre sans tenir compte des noms – tâche qui implique d’inhiber la lecture (automatique).
Compétence apprise, l’inhibition est le résultat de l’éducation. Elle s’acquiert au fil de nos expériences, à chaque instant : quand nous nous concentrons sur la voix de notre interlocuteur et filtrons le bruit ambiant, quand nous conduisons notre véhicule et sommes attentifs uniquement à la route. In fine, nos capacités d’inhibition sont si bien développées que nous pouvons inhiber à peu près tout : sensations, souvenirs, réponses automatiques, etc. L’hypnotiseur joue de ce répertoire d’inhibitions, que ce soit dans le cadre d’un spectacle ou dans un but thérapeutique.
Bien sûr, le « dormez, je le veux ! » est très théâtral. Mais il est aussi très fonctionnel puisqu’en général celui qui se prête à cette injonction semble s’endormir instantanément, et montre de nombreux signes du sommeil : les yeux clos, une conscience diminuée, des muscles relâchés, etc. Que l’endormissement se fasse sur demande de l’hypnotiseur pose question. Comment ses mots peuvent-ils avoir un tel pouvoir ? Pour le comprendre, il faut faire un retour sur le fonctionnement du système nerveux central, et du cortex en particulier.
Le cortex, mémoire du vécu
Représentant 80 % de la masse du cerveau, mais seulement 20 % des neurones (16 milliards), le cortex est organisé en cartes corticales. On en dénombre au total 380, chacune dédiée à une dimension précise de la réalité. Certaines traitent les formes, d’autres les couleurs, les odeurs, les lettres, les objets que l’on peut saisir, ou des choses plus élaborées comme l’orthographe des mots ou des concepts. Au sein de ces cartes, les neurones sont organisés en ensembles fonctionnels d’environ 100 000 neurones : les colonnes corticales.
Une telle organisation impose qu’à chaque instant seul un petit nombre de colonnes corticales soient actives. On appelle « état d’activation global » l’ensemble des colonnes activées à un instant donné. Les propriétés d’apprentissage inhérentes au fonctionnement des neurones garantissent que cet état global est mémorisé, comme le sera aussi le suivant, puis celui d’après, et ainsi de suite. Le cortex contient ainsi la mémoire des situations vécues par une personne tout au long de sa vie.
Cette mémoire fonctionne de manière associative : quelques colonnes activées suffisent pour retrouver l’état global auquel elles appartiennent, et « rallumer » toutes les cartes concernées. Chaque fois qu’une nouvelle situation est traitée par le cortex, la dynamique corticale se modifie pour la « retrouver » dans le vécu. Si elle n’a pas été mémorisée, autrement dit si elle n’a pas été vécue, alors elle est traitée de façon plus extensive par des cartes corticales d’un haut niveau d’abstraction – celles qui sont impliquées dans le langage, et donc dans la conscience. C’est à ce niveau précisément qu’intervient l’hypnose, en empêchant par inhibition certaines cartes (ou parties de cartes) d’intervenir dans le traitement de la situation courante. Mais comment l’hypnose peut-elle se mettre en place ?
Trois méthodes pour un même but
La « rupture de pattern » consiste à introduire dans une séquence habituelle quelque chose d’incohérent. Par exemple, un mouvement très automatique (comme se serrer la main pour dire « bonjour ») est interrompu en pleine exécution et remplacé par une action inattendue (comme de porter la main du sujet à son front). Cela sème le désordre (au niveau de l’activation des colonnes corticales) et c’est l’instant idéal pour un « dormez ! » salvateur, qui devient le nouvel état d’activation global.
Pour la confusion mentale, il suffit de noyer le sujet sous un flot d’informations jusqu’à ce que son état d’activation global devienne complètement inconnu. La première chose compréhensible qui se présente (« dormez ! ») débloque le système et devient de fait le nouvel état d’activation global.
Quant à la suggestion, troisième méthode utilisée, elle s’appuie sur des mouvements normaux mais inconnus de la personne hypnotisée. L’hypnotiseur travaille à démontrer qu’il sait ce qui va se passer : « Malgré tous vos efforts, vos yeux se ferment… » Il oblige ainsi la personne hypnotisée à inhiber ses propres réponses, au profit des siennes. Sa voix et sa parole gagnent en importance, ses suggestions sont de plus en plus écoutées et efficaces, et permettent à terme l’induction finale.
À la merci des suggestions
Le sommeil, on le sait, se caractérise au niveau du cortex par l’apparition sur l’enregistrement d’une électroencéphalographie d’ondes lentes. Elles témoignent d’allers-retours importants entre le cortex et le thalamus. La convergence vers des états d’activation globaux n’est plus réalisable. Dès lors, il devient impossible de mettre en évidence la nature incohérente (avec la réalité) des suggestions de l’hypnotiseur, et donc de les contester. Le sujet se retrouve à la merci des suggestions faites.
S’il s’agit d’hypnose thérapeutique, l’objectif est de parvenir à certains changements désirables, et désirés : l’arrêt du tabac, moins de stress et d’émotions pendant les examens, etc. On y parvient par le biais de suggestions pendant l’hypnose telles que : « Lors du prochain examen de physique, vous serez plus calme, votre respiration sera ample et tranquille… » Ces suggestions sont très bien mémorisées, car la personne est particulièrement réceptive, ayant très peu de colonnes corticales actives. Leur « durée de vie » est en général de quelques semaines, ce qui permet d’installer de nouvelles (et meilleures) habitudes : moins de cigarettes, moins de stress, etc. À défaut, il faut retourner voir son hypnothérapeute.
Pour conclure, ajoutons que le ressenti d’une personne pendant et après la transe de l’hypnose est un sentiment de grande tranquillité : pas d’inquiétude, pas de stress. Pourquoi ? Simplement parce que la voix de l’hypnotiseur détermine la réalité et que tout le reste est inhibé. Seuls sont représentés les états suggérés par l’hypnotiseur. Il n’y a aucune incohérence, aucune prédiction non exacte. L’état d’activation global est minimal, ce qui est le gage d’une mémorisation facilitée et d’un état qualifié de « plaisir ».
• Claude Touzet est maître de conférences en sciences cognitives (université Aix-Marseille).
Source : https://www.lepoint.fr/science/hypnose-comment-ca-marche-12-05-2017-2126947_25.php